Officiellement, j’ai trois noms et deux prénoms, tous aussi longs, les uns que les autres. Si les Afrodescendants à travers le monde ont des noms assez « acceptables », qui rentrent dans le moule de la « normalité » occidentale, ceux nés et vivants en Afrique en général portent le poids de leur nom toute leur vie. Vous pensiez qu’avoir un nom à consonance serait peut-être le problème majeur que vous rencontreriez au sujet de votre nom en allant vivre/étudier dans un pays occidental ? Sachez d’ores et déjà que la longueur de votre nom en constituera un autre.
De façon générale, les gens ne prennent même pas la peine de lire votre nom en entier. Par souci d’efficacité (lol !), ils l’abrègent, se contentent de simplement bégayer en n’essayant même pas de le lire ou encore mieux, passent directement à votre prénom s’il leur semble moins compliqué à prononcer. Quand on vous fait remarquer en allant retirer un Western Union que le nombre de caractères a été dépassé, qu’il vous faut toujours choisir lequel des noms il vous faut donner, pour faciliter la prononciation de votre interlocuteur, vous savez que vous êtes dans cette catégorie-là : celle des noms à rallonges.
Qu’en est-il lorsque votre nom n’atteint même pas deux syllabes et qu’on l’écorche d’une manière que vous n’auriez vous-mêmes jamais soupçonnée ? J’ai arrêté de reprendre mes professeurs lorsqu’ils prononçaient mal mon nom quand j’ai entendu ma dernière chargée de TD* prononcer le mythique nom sénégalais Mbodj : << M- Bo-dji ! >>, j’ai compris que c’était peine perdue et que mon énergie serait utile à bien d’autres combats.
Les remarques fusent de partout. « Quel nom kilométrique ! » ou ma préférée : « vos parents pensaient peut-être que vous étiez le dernier enfant, je suppose ? » Je me suis surprise bien des fois à rire à ces blagues ridicules, à trouver la longueur de mon nom anormale.
Mais trouver son nom anormalement long ne date pas de mon arrivée en France. Même chez moi au Gabon, tout le monde me le faisait remarquer, comme si moi-même je n’avais pas déjà constaté qu’il n’était pas commun comme nom. Du coup, depuis ma tendre enfance, mon nom a été un problème que je me devais de régler au plus vite.
Je me rappelle encore de cette fois alors que je n’étais pas plus haute que trois pommes et que j’expliquais déjà fièrement à mon papa que j’avais hâte de me marier pour pouvoir changer de nom, porter celui de mon époux, celui de sa famille, car oui, tous les noms étaient acceptables, excepté le mien. Choqué par les propos que j’avais tenus du haut de mon innocence, mon père s’est mis à m’expliquer mon nom, sa signification, et pourquoi de tous les noms, leur choix s’était porté sur celui-là.
Au collège, rien ne change vraiment. Je me surprends à moi-même abréger mon nom : au lieu de mettre mes trois noms et deux prénoms officiels sur une copie de devoir, je ne me contentais plus que du premier nom, du premier prénom et des initiales pour les autres. Mon père s’en est à nouveau rendu compte en signant mes copies et entreprend de me parler de cette grande dame dont je porte le nom. Celle-là même qui a tant fait pour ma famille maternelle et dont je porte le (pré)nom aujourd’hui : mon dina*.
Le dina dans ma langue maternelle est la personne qui porte le même nom que soi. En d’autres termes, c’est l’équivalent de l’homonyme français. En langue Guisir, on dit << dine diami* >> traduisez par là << mon nom >>, la même phrase peut également se traduire << mon homonyme >> selon le contexte. Vous l’aurez donc compris, elle peut être employée pour désigner donc celui qui porte le même nom que soi. Avec la francisation de la langue, c’est devenu petit à petit << mon dina*>>.
Le rapport au patronyme est très particulier chez nous
Pour la petite histoire, aujourd’hui pour la grande majorité des Gabonais, l’on porte désormais un prénom catholique (musulman beaucoup moins mais ça vient petit à petit). Alors qu’il n’y a pas si longtemps de cela, moins d’un siècle d’ailleurs, l’on portait uniquement :
- le nom du père (le patronyme de la famille) ;
- et son propre nom (celui du dina) donné dans une des langues de la famille (soit maternelle, soit paternelle). Ce dernier est celui que l’on appelle aujourd’hui le nom d’homonyme.
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Pourquoi je dis le nom ? et pas simplement le prénom ?
Parce que pour certains (nos chers amis les colons, pour ne pas les citer), porter un prénom ne signifiait qu’avoir un prénom catholique, ou à consonance occidentale, et pour le reste, il ne pouvait en aucun cas s’agir de « véritables prénoms ». Mais en toute honnêteté, c’est surtout parce que dans nos différentes langues, dans nos dialectes respectifs, le mot « prénom » se traduit par << mon nom à moi >> et le nom de famille se traduit comme << le nom du père >>. Bien que bien distinctifs, cela reste un nom, le mot << prénom >> n’a donc pas son équivalent dans nos langues dites vernaculaires (même si je n’aime pas trop ce mot, mais bon passons !).
Pour éviter de perdre cette tradition-là d’attribuer des (pré)noms de chez nous, l’on a préféré porter des noms à rallonges pour éviter qu’ils disparaissent. On porte donc non seulement :
- son (pré)nom personnel (donc celui du dina),
- accolé au patronyme de la famille,
- auxquels on rajoute un prénom catholique,
- et depuis quelques années, moins d’une quarantaine à peu près, on peut désormais observer l’ajout d’un ou deux autres prénoms occidentaux en général (anglais, américain et parfois même allemand) qui seront considérés plus branchés, plus « IN », qu’un « Kumba » ou qu’un « Ndossi » qui, eux, sortiront de l’ordinaire.
Des parents encore plus créatifs font désormais des jonctions de prénoms. C’est en cela que vous pourrez voir un père dont le prénom est Benjamin et une mère dont le prénom est Kathya, donner à leur enfant le prénom Benathya (personne ne s’appelle vraiment comme ça au Gabon, je vous ai juste pris un exemple hein 😆 ) . Quand d’autres encore, attribuent des prénoms sortis tout droit de nos chères et tendres télénovelas sud-américaines*.
Au Gabon alors, comme je vous le disais plus haut : on porte les noms d’homonyme. C’est l’équivalent du prénom français porté (par une tante, une grand-mère, un cousin-germain,…) que l’on attribue à un enfant nouveau-né, pour honorer cette personne déjà présente dans la famille. On espère que les qualités de ladite personne se transmettront en même temps que son prénom à l’enfant nouveau-né. Il peut également s’agir d’une personne ayant contribué (financièrement, émotionnellement ou autres) à l’éducation et au devenir de l’un des parents de l’enfant, et par reconnaissance, le parent souhaite perpétrer le nom de ce membre de la famille.
Parfois, cela va plus loin que cela, l’infertilité restant un des sujets tabous chez nous. Un enfant représentant le passage d’un être humain sur terre, mais surtout le moyen de perpétrer un nom de famille, une personne pouvait donner le nom de son cousin/de sa sœur/d’un oncle/d’une grand-tante/etc, qui n’avait pas eu le bonheur d’enfanter, n’avait pas eu de descendance. Tout cela, dans le but d’honorer cette personne, de lui donner la possibilité de perpétrer son nom. On contera à l’homonyme qui vient de naître, tout au long de sa vie, l’histoire de la personne dont elle porte le nom aujourd’hui. (Chacun sa méthode pour demeurer, pour laisser une trace de son passage sur terre).
S’agissant de l’ordre d’alignement des noms
En général, la coutume gabonaise prévoit que l’on mette en premier le nom d’homonyme (notre fameux prénom) suivi du nom de famille. Du coup en voyant le nom d’une jeune femme par exemple : IBEKELIA MBOUROU, vous devrez lire et comprendre IBEKELIA, fille de MBOUROU, et surtout IBEKELIA étant son nom d’homonyme et MBOUROU, son nom de famille, le nom de son père. Le nom de famille vient donc toujours après le nom d’homonyme.
Enfant, voir une candidate de l’émission Koh-Lanta porter le prénom Kumba, m’avait presque choquée (voyez un peu jusqu’où va ce rapport au nom que l’on a nous, peuple bantu). Voir une Noire se prénommer Kumba m’avait littéralement sidérée, comme voir un Asiatique se prénommer Jean ou Claude d’ailleurs. Mais voir un Noir porter les prénoms Vincent ou Jérémie ne me choquait pas.
Pour moi, c’était « normal », et croyez-moi j’étais loin d’être la seule à penser ainsi. Aujourd’hui encore, beaucoup d’Occidentaux s’étonnent lorsqu’en demandant à un Gabonais son prénom, les prénoms tels que Lucas, Nathan, Marcelle ou Whitney ressortent. Et c’est vrai qu’en comparaison avec nos chers amis Asiatiques, Américains ou Européens, l’on ne porte pas toujours des prénoms d’origine africaine. Mais à qui donc la faute ?
Contrairement au patronyme que l’on pourrait perdre au cours de sa vie, le prénom se porte toute une vie. L’origine importe peu à mon sens, est-ce peut-être parce que je porte des prénoms dont j’ignore même l’origine exacte en réalité ? Mais pour être honnête avec vous, je pense qu’il faut juste donner des prénoms qui impacteront sur la vie du nouveau-né tout simplement, une sorte de marque indélébile dont il se souviendra toujours à chaque fois qu’on l’appellera par son prénom.
Pas seulement des prénoms qui sonnent jolis à l’oreille ou qui sont tendance. Des prénoms africains il en existe tellement. Et d’ailleurs, si vous avez des livres qui en ont répertorié la plupart, je suis preneuse. Je sais qu’à une certaine époque, j’avais moi-même entrepris de faire une sorte de répertoire de prénoms africains, pour montrer qu’on a toujours le choix, mais bien entendu, je n’ai jamais concrétisé ce projet 😕 .
PS : Cet article j’ai voulu l’écrire depuis belle lurette, mais ce n’est qu’avec l’actuelle recrudescence de naissances dans mon entourage et surtout le débat autour du choix des prénoms à attribuer que j’ai été littéralement poussée à le rédiger. Alors, chers parents, DONNEZ A VOS ENFANTS DES PRENOMS AYANT DES SIGNIFICATIONS, UNE FORTE SYMBOLIQUE A VOS YEUX !
Si ces prénoms sont africains et encore mieux de la région de laquelle vous venez, ils signifieront deux fois plus pour vous encore ; ils seront tellement personnels qu’il serait rare de trouver des gens autres que vos enfants et quelques personnes originaires de la même région que vous, avec les mêmes. Vos enfants, à travers leurs prénoms, porteront haut les couleurs de votre culture.
Et à tous les futurs parents, je vous mets juste en dessous, la liste bien sûr non-exhaustive de prénoms d’origine gabonaise pour toujours vous laisser le choix quant aux prénoms que vous souhaitez attribuer à votre progéniture, n’hésitez pas à compléter ou rectifier en commentaires cette liste de prénoms (trouvée sur internet, d’ailleurs merci Google et Facebook), et ce quelle que soit votre origine (africaine ou pas), tant que vous spécifiez à côté la signification du prénom et son origine, je suis preneuse !
exemples de prénoms PUNU :
Lybina : oublier
Madiba : sourd
Makièli : l’aurore
Makemi : les doutes
Mathass : la pensée
Mbile : l’echo (peut aussi signifier beaucoup)
Muboti :
Murima : le coeur
Muyissi : la sirène
Mwéni : visiteur, étranger
Murel : le chasseur
Mbire : l’aigle royal
Mwètsa : le clair de lune
Ndossi : le rêve
Ndemu : la chaleur
Passi : la peine ou la souffrance
Sabi : la clef
Simba : saluer
Sutu : la surprise
Tsoli : l’oiseau
Tsomi : l’aîné
Tsony : la honte
Umarel : le premier né
Wali : étendre
Wamy : à moi, la mienne
Warisse : le courage
Wissi : le temps
Wissy : le jour
Yaba : savoir
Yitu : l’espoir
Yessa : la chance
Yessie : la grâce, le bonheur, la chance
Yorie : la préférence, la convoitise
chargée de TD* : personne chargée de diriger les séances de Travaux Dirigés à la fac.
dina* : homonyme
télénovelas sud-américaines* : séries télévisées souvent d’origines brésilienne, péruvienne ou mexicaine dont l’intrigue se résume en général, sinon souvent, à la vie tumultueuse d’une belle actrice aux magnifiques cheveux à la reconquête d’un héritage, d’un amour de jeunesse, de ses enfants (ou que sais-je encore) dont elle a été séparée injustement.
À très vite les Rooters !
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